- Like a hurricane -

« La mémoire est à la fois quelque chose de fantastiique, et à la fois quelque chose de maudit. »

On ne peut jamais prévoir avec exactitude les événements qui viendront bouleverser notre vie. Ou celle de notre entourage. Je n'avais que cent ans lorsque tout s'effondra. Ou du moins tout ce en quoi je croyais à l'époque. Je ne suis pas de ces enfants qui n'ont pas connu leurs parents. Non, je suis de ceux qui les ont trop bien fréquentés, bien assez pour souffrir de leur disparition. Mais tout a commencé avec l'elfe qui m'a donné la vie. Ma Mère. Et … Par un quelconque procédé aussi néfaste qu'attendu, certaines choses ont pris fin avec elle.

Sans doute passait-on, devant cette demeure somptueuse, intimidante. Plusieurs fois par jour. Mais était-elle toujours habitée ou les rideaux tirés ne signifiaient que le départ de ses propriétaires ? Kementári avait bien la réponse, cette jolie blonde aux courbes déjà formées et pourtant si jeune, si l'on se basait sur la durée de vie elfique. Elle avait la réponse mais ne le criait pas sur tous les toits. Car cette demeure, c'était la sienne. Elle n'y rentrait plus que quelques fois par jour, l'obscurité lui rappelant son statut d'endeuillée, le silence les chants qu'elle n'entendrait plus. Car il avait arrêté de chanter. Il avait arrêté de peindre, et de façon plus effrayante encore, il avait arrêté de rire. Dolán ne vivait plus, il dépérissait. Des rumeurs circulaient à son sujet, des rumeurs inquiétantes que la fille ne pouvait accepter entendre pour son père. Il devenait fou. De douleur, de solitude, malgré sa présence à elle. Elle aurait tant voulu qu'il accepte sa présence comme médecine, mais il la refusait. La malédiction de Kementári était cette phrase, cette seule phrase qu'elle ne voulait plus entendre, car elle la condamnait à la séparation. « Tu ressembles tellement à ta mère ... » Cette phrase prononcée sur ce ton de douleur, presque de reproches. Elenwë aurait sans doute su quoi faire. Mais si elle avait été là, sans doute rien de tout cela n'existerait plus. L'elfe se rappelait encore de l'annonce de sa perte. Dans tout Valyë avait retentit deux jours durant, les chants consacrés aux elfes ayant donné leur vie pour leur peuple. Leur vie pour la paix. Dolán n'avait jamais su comprendre comment la femme qu'il aimait de toute son âme pouvait être à la fois si douce et à la fois assez hargneuse pour faire partie des combattants elfes, des guerriers. En tant qu'artiste et intellectuel, la guerre et les armes étaient loin d'être sa préoccupation première, mais il avait accepté. Durant des centaines d'années, il avait fait comme si cela ne le dérangeait pas. Car elle était libre, elle était une elfe, et jamais, au grand jamais, il n'aurait voulu lui enlever sa volonté. Et maintenant elle était morte. Enlevée par la même guerre à laquelle elle souhaitait mettre fin. Et sans doute avait-elle emmené son époux avec elle, sans le vouloir réellement. Kementári était loin d'être touchée autant par la perte de sa Mère. Elle souffrait, plus que quiconque n'aurait pu imaginer, mais elle était persuadée qu'Avisos avait ses volontés, et que quel que soit l'endroit où est partie l'âme de sa mère, il en prenait grand soin. Dolán, quant à lui, même s'il croyait fondamentalement en l'existence de sa défunte femme autre part, ne pouvait réellement accepter le fait qu'elle lui soit inaccessible. Mais l'elfe voulait croire au plus profond d'elle que la douleur passerait avec le temps. Sa mère n'était partie que depuis vingt ans, après tout. C'était peu, pour un elfe. Peu pour l'homme qui en avait passé deux milles et des étoiles avec celle qu'il considérait comme sa Seule et Unique. Kementári ferma les yeux, assise près d'une fenêtre dont elle avait tiré le rideau pour laisser passer un rai de lumière, suffisant pour y voir clair mais trop peu satisfaisant. Elle aurait voulu sortir, aller dans la forêt pour y retrouver les sons qui la soulageaient. Mais laisser son Père seul l'effrayait bien plus qu'elle ne voulait l'admettre. Et si les rumeurs étaient fondées ? Et s'il finissait par sombrer, s'en voudrait-elle de ne pas avoir été là pour lui ? Mais avant qu'elle n'ait pu se répondre par l'affirmative, un bruit résonna derrière elle, qui la fit sursauter. Elle n'était pas du genre à pouvoir se laisser surprendre, mais l'habitation si calme lui faisait parfois oublier que celui qui vivait avec elle n'était en aucun cas inconscient. Offrant un sourire qui ne lui fut pas retournée, elle vrilla son regard dans celui azur de Dolán. Son visage n'était pas triste, pas douloureux. Seulement fermé. Et déterminé. C'est cette dernière chose qui lui fit plus peur que jamais. Et comme pour lui prouver qu'elle avait raison, il prononça les paroles qu'elle redoutait. «  Je m'en vais. » S'ensuivit une longue discussion, de la colère, de la douleur, de la compréhension, de la déception et puis finalement l'acceptation. Et ce jour-là fut la dernière fois où Kementári vit son père.

Pendant des années je dus faire face à la perte de mes deux parents. Si mon peuple ne se montrait pas hostile, j'avais droit à des regards curieux. Les familles sont rarement désunies si tôt à Valyë. Et pourtant j'ai continué de vivre, espérant en secret que mon père reviendrait un jour après avoir fait son deuil. Malheureusement, ce n'est pas encore le cas. Je me suis instruite dans beaucoup de métiers. Le tissage, la couture, l'enseignement de l'Histoire, comme mon père le faisait avant la mort de ma mère … Et si je me suis montrée tout juste acceptable dans les deux premiers – mais pas de quoi en faire un métier, on me l'a bien fait comprendre – et assez douée pour l'enseignement, ce n'était pas réellement ce à quoi je voulais m'employer. Je n'étais pas comme mon père. Alors il a bien fallu que je prenne modèle sur quelqu'un.

S'il y avait quelque chose qui ne lassait jamais Kementári et qui lui permettait d'apprécier quelques peu les voyages extérieurs à Valyë, c'était bien son cheval . Bien entendu elle aurait pu se rendre à la ville la plus proche et prendre le train, comme n'hésitaient pas à le faire la plupart des Caphesiens. Mais ç'aurait été la priver de son plus grand bonheur que de l'empêcher de monter. En réalité, l'elfe ne s'était découverte que deux passions ces dernières centaines d'années. Ellundril, son cheval, dont elle s'occupait comme si elle était la plus grande merveille du monde, et le combat. Sans doute avait-elle voulu s'entraîner plus fort car il ne subsistait que cela de celle qui avait été sa mère, du moins dans ce monde-ci. Alors elle avait voulu s'en rapprocher, et avait essayé plus encore que les autres. Tous les jours, six heures durant, elle avait subi les assauts d'un maître d'armes plus brut que la moyenne. Il ne lui donnait pas tâche facile, mais elle était une combattante, elle avait pu passer au-dessus. Rien n'avait été simple mais cela donnait plus de valeur au résultat, non ? Elle avait, selon son instructeur, appris tout ce qu'il pouvait lui apprendre. Et lui-même l'avait recommandée auprès du Cerf, qui en avait fait sa messagère. Ce n'était pas idéal pour elle, mais mieux que tout ce qu'elle avait fait jusqu'alors. Elle avait donc hoché la tête et accepté l'opportunité qui s'était offerte à elle. L'opportunité de voir le monde autrement que par les histoires de Valyë. Bien entendu elle n'était pas seule, le Cerf avait une poignée de messagers qu'il envoyait aux quatre coins du continent, mais elle se soulageait de voir que malgré tout, il continuait de lui donner des missions en solitaire. Enfin, si on exceptait cette mission précise, où Kementári était accompagnée d'un autre elfe, qui, selon sa vision, ne faisait que la ralentir. Ils avaient mis quatre jours au lieu de trois pour atteindre Dorell Castle, et la blonde commençait à voir rouge. Sa patience avait quelques limites, et un elfe qui refusait de prendre le galop car cela lui faisait peur était un messager pour le moins inefficace. Pourtant, elle avait essayé de lui faire entendre raison, mais rien à faire, il était têtu comme une mule … Au moins autant qu'elle sans aucun doute. Voilà des centaines d'années qu'elle officiait ainsi et jamais elle n'était tombée sur un partenaire aussi peu enclin aux concessions et à la raison. Sortant de ses pensées, la jeune femme arrêta Ellundril, sa jument, et pointa du doigt l'extérieur du chemin. «  Si l'on s'éloigne un peu du chemin, l'endroit est idéal pour passer la nuit. » Son partenaire hocha la tête, et le jour déclinant, ils installèrent leur campement de fortune. Bien entendu ils pourraient chevaucher jour et nuit mais la crise de panique de Volarys lorsqu'il avait dû chevaucher guidé par la lumière de la lune lui avait suffit pour comprendre qu'il n'était pas non plus très friand de l'obscurité. Ils avaient allumé un feu, les attaques se montrant rares dans le coin, et alors que Kementári se réchauffait, le regard plongé dans les flammes, elle se rendit compte d'une chose. Une seule chose, qui risquait de changer le cours de sa vie. Elle voulait rentrer. Les voyages l'épuisaient, lui donnaient seulement une envie encore plus grande de rester à Valyë. Bien entendu elle était heureuse de pouvoir faire ce qu'elle faisait, ce n'était pas une opportunité offerte à tout elfe. Mais plusieurs centaines d'années, c'était suffisant. Elle allait passer à autre chose. « Après cette mission, j'arrête. » Sans doute le dire à voix haute lui permettait-il de se rendre compte de sa volonté. Et volonté, il y avait.

Alors j'ai délivré mon message, et nous sommes rentrés. J'ai repris les entraînements au combat, jusqu'au jour où celui qui m'avait guidée jusque là a trouvé le repos. C'était un elfe assez âgé, trois milles quatre cents  quatre-vingt-neuf ans c'est sans doute l'âge requis pour mourir en paix . Et encore une fois, l'homme m'a donné de quoi être fière et montrer mes capacités. Et finalement, après des années à chercher ma voie, je l'ai trouvée, alors même qu'elle était devant mes yeux depuis le début.

Kementári fixait son adversaire, prête aussi bien à l'attaque qu'à la défense. Il avait cru bon de la prendre par surprise … Ce petit malin qui pensait pouvoir prendre le dessus. Mais elle était elfe entraînée. Elle avait dû, pendant des années, délivrer des messages de la plus grande importance aux instances principale du monde … Elle avait pris l'habitude des voleurs, et son épée était toujours prête à dégainer. Alors elle l'avait entendu arriver, encore trop peu sûr de lui pour qu'il soit complètement silencieux. Et très vite, elle avait dégainé. Le bruit des lames qui s'entrechoquaient attirèrent l'oeil des elfes présents dans la Cour, mais ils se détournèrent bien vite. Repoussant l'assaut, l'elfe se mit automatiquement en position de combat. Son assaillant n'avait pas été surpris par la vitesse de réaction de l'elfe. Sans doute pensait-il seulement que l'effet de surprise lui donnerait un certain avantage sur l'issue du combat … Mais il se trompait. Sagement, l'elfe attendit que l'homme qui lui faisait face se décide à attaquer, ce qui ne tarda guère. D'un déplacement rapide et d'un coup d'épée, elle esquiva le coup. L'acte se répéta plusieurs fois, jusqu'à ce que, de nouveau face à face, elle prit la parole. «  On reprend les exercices. Gauche ! » Et alors qu'elle prononçait ses mots, elle tenta de percer la défense de l'apprenti guerrier par la gauche, ce qu'il contra facilement. Il n'était pas des moins doués, c'était certain. Son seul problème était qu'il était incapable de prendre les bonnes décisions tout seul. Et durant les entraînements, c'était, de par ce défaut, toujours lui le perdant, qui que soit son adversaire. «  Droite ! » Et alors qu'il se préparait à la bloquer par la droite, elle lui donna un coup léger au flanc gauche de sa lame émoussée. Lors des entraînements, elle s'arrangeait toujours pour ne pas posséder de lames trop tranchantes. Avec son impulsivité occasionnelle, elle ne savait pas ce qu'un accident pourrait donner. L'homme qui lui faisait face fut assez décontenancé pour qu'elle en profite, et elle le désarma, plaçant sa lame sous la gorge. «  Tu es mort,  désolée pour toi, tu auras droit à de belles funérailles. » Elle s'attendait à ce qu'il proteste, et c'est d'ailleurs ce qu'il fit, s'éloignant, presque colérique, de la menace de l'arme, qu'elle finit par replacer dans son fourreau. «  Ce n'est pas juste ! Vous m'aviez annoncé une fausse manœuvre ! » Moqueuse, Kementári le fixa. «  Toutes mes excuses, grand prince, je me figurais, sans doute à tort, que vos futurs ennemis manqueraient quelque peu de courtoisie quand il s'agirait de vous faire mordre la poussière. » L'elfe face  à elle hésita, puis capitula enfin. Il savait que ce n'était même pas la peine de discuter. Alors, serrant les dents, il s'inclina puis s'éloigna. Le combat était fini, et il avait perdu. A lui comme aux autres, il y avait encore tout un chemin à parcourir. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'elle serait là pour les aider, parce que c'était sa vie, maintenant, et ce jusqu'à ce qu'ils soient tous appelés à combattre. .